Reprise de mon opinion parue dans 24 heures – le jeudi 2 juin 2022
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On n’est pas loin d’un scandale d’État.
Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) collecte et conserve des données personnelles sur toute une série de personnes ou d’organisations qui s’engagent pour une cause politique ou idéale en Suisse.
Les recherches menées par le média en ligne alémanique Republik ont abouti à des résultats à peine croyables: des quantités démesurées de données sont enregistrées par exemple sur des organisations très sérieuses comme Amnesty, Humanrights.ch ou Solidarités sans frontières, sur des avocats pratiquant dans le domaine des droits humains ou encore sur des élus et élues.
C’est une nouvelle «affaire des fiches», du nom de ce scandale qui avait éclaté il y a un peu plus de trente ans lorsque le parlement avait incidemment découvert que près d’un million de personnes en Suisse étaient «fichées» par la police fédérale sans aucune justification.
Le plus choquant, c’est que la loi sur le SRC elle-même proscrit cette pratique: selon son article 5, le SRC «ne recherche ni ne traite aucune information relative aux activités politiques ou à l’exercice de la liberté d’opinion, d’association ou de réunion en Suisse». Si ce n’était pas gravement illégal et contraire aux libertés fondamentales, cela prêterait à sourire: les données collectées portent sur des événements aussi banals que des conférences auxquelles ont participé les personnes visées, leurs apparitions publiques, leurs déclarations dans la presse, etc.
Une illustration de cette absurdité: l’ancienne présidente des Verts suisses et ancienne conseillère nationale Regula Rytz – qui, soit dit en passant, aurait pu devenir conseillère fédérale en 2019 – a découvert une fiche constituée sur sa personne qui fait notamment état d’un voyage à l’étranger où elle a rendu visite à un projet de développement d’une école…
En théorie, la loi offre la possibilité de demander quelles sont les informations collectées sur sa personne. Le hic, c’est que ces requêtes sont traitées de façon opaque par le SRC et qu’il est fréquent que celui-ci ne réponde pas ou seulement partiellement, se réfugiant derrière l’intérêt prétendument supérieur de l’État.
Quant à la suppression des données, elle est très difficile à obtenir. Les voies de droit pour contester les décisions du SRC existent mais sont semées d’embûches procédurales. Le Tribunal fédéral a récemment eu l’occasion de rappeler à l’ordre le SRC sur le respect de certains droits fondamentaux, mais pour l’heure cela a eu peu d’effets concrets sur ses pratiques.
Le Conseil fédéral a annoncé il y a peu vouloir réviser la loi pour étendre encore les moyens de surveillance du SRC. On croit rêver. Cette fuite en avant vers une société de surveillance généralisée, pour un bénéfice nul en termes de sécurité, est aberrante. Il faudrait déjà que le SRC commence par balayer devant sa porte en se mettant en conformité avec la loi.
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