Reprise de mon opinion parue dans Le Temps – le vendredi 27 mai 2022
—
C’est, je crois, l’un des sujets les plus difficiles que j’aie eu à aborder comme élu. Parce que cela questionne notre intimité. Parce que les affaires Strauss-Kahn, Weinstein, PPDA et consorts ont soulevé le voile sur la violence subie par d’innombrables victimes d’agressions sexuelles. Parce que l’homme que je suis se sent démuni et inquiet face à cette réalité brutale. Et parce que comme avocat pratiquant régulièrement la défense pénale, je me dois d’analyser avec rigueur les risques de condamnations iniques qui pourraient découler d’une réforme mal conçue.
La définition actuelle du viol est d’un autre âge et doit être revue, tout le monde ou presque en convient. Un viol en droit suisse ne doit plus se limiter à l’acte sexuel commis sur une femme, d’une part, et ne doit plus supposer obligatoirement un acte de contrainte, d’autre part. Reste à savoir comment définir le viol. Deux visions s’opposent. Le modèle du «non, c’est non» considère qu’il y a viol si l’auteur a outrepassé un refus de la victime. A l’inverse, dans le modèle du «oui, c’est oui», il y a lieu de recueillir, avant un acte sexuel, le consentement du partenaire, lequel peut être retiré à tout moment. Ces deux modèles illustrent la difficulté à laquelle peut se trouver confrontée la justice: l’auteur rejette l’accusation car la «victime n’a pas dit non» et la victime plaide qu’il y a eu viol car «elle n’a pas dit oui».
Il faut d’abord battre en brèche une première confusion: ces deux modèles ne portent pas sur la question de la preuve. Seuls sont en cause ce que les juristes appellent les éléments constitutifs de l’infraction, soit, en langage courant, sa définition. Quel que soit le modèle retenu, s’il n’y a aucune preuve à charge ou à décharge, une condamnation demeurera impossible. Le doute doit profiter à l’accusé, sans quoi les fondements du droit pénal seraient bouleversés de façon inadmissible. Autre crainte infondée: il n’y aura pas de place en Suisse pour une application smartphone destinée à «enregistrer» un consentement à des fins de preuve – une invention stupide et inutile qui va faire long feu là où elle est apparue.
Ensuite, il faut rappeler que souvent, le droit pénal se fonde déjà sur l’analyse du «for intérieur» de l’auteur. Y a-t-il eu intention lors d’un homicide? Cela fera la différence entre un homicide par négligence et un meurtre, rien que cela! Comme il n’existe – fort heureusement d’ailleurs – aucun moyen de lire dans les pensées, les tribunaux sont déjà habitués à examiner toutes les circonstances, les comportements des personnes impliquées, leurs déclarations, etc., pour comprendre ce qui a pu se passer et, dans le cas d’un viol, déterminer s’il y a eu contrainte lorsque celle-ci n’a pas laissé de séquelles physiques.
Enfin, la notion de consentement n’est pas une anomalie en droit pénal. Elle intervient déjà aujourd’hui dans l’analyse de plusieurs infractions. Enregistrer une conversation téléphonique avec son interlocuteur (ou des images de sa sphère privée) est uniquement punissable s’il n’y a pas consenti. Personne ne soutient que cette exigence de consentement est dangereuse. Idem pour la violation de domicile ou les infractions en matière économique: si je pénètre chez mon voisin ou emprunte son vélo avec son accord, même oral, il n’y a pas de violation de domicile ou de vol. Si je le fais sans son consentement, une infraction est potentiellement réalisée.
Les infractions en matière sexuelle soulèvent certes davantage de difficultés de preuve et cela depuis toujours, mais les principes connus en droit pénal demeureraient inchangés. Ancrer le consentement dans le droit pénal sexuel n’est pas trop en demander. De nombreux Etats l’ont déjà fait sans que cela pose de difficultés. Ce qui est en jeu, c’est l’éducation au consentement dans les relations sexuelles. Le droit pénal a notamment pour vocation d’offrir une protection contre des comportements qui causent du tort à autrui. A voir les dégâts que causent les actes sexuels non consentis, il est temps d’en revoir la définition. Pour les accusations infondées – statistiquement rares selon les études faites sur le sujet* – le droit pénal offrira toujours les moyens de prononcer un acquittement ou de condamner le ou la plaignante pour dénonciation calomnieuse.
* Lisak, D., Gardinier, L., Nicksa, S. C., & Cote, A. M. (2010). False Allegations of Sexual Assault: An Analysis of Ten Years of Reported Cases. «Violence Against Women», 16 (12), 1318-1334.
0 commentaires