Les sondages indiquent que l’initiative « Stop mitage » des Jeunes Verts soumise au vote le 10 février prochain serait nettement acceptée en Suisse allemande, alors que la Suisse romande se montrerait moins enthousiaste. Traditionnellement – encore récemment avec l’initiative des Verts pour des aliments équitables – la Suisse romande se montre pourtant globalement plus progressiste et plus encline à soutenir des textes émanant des milieux écologistes. Comment donc expliquer ce Röstigraben « inversé » qui pourrait bien se manifester dans les urnes?
On peut se risquer à avancer diverses explications, par exemple la perception différente du paysage en mutation de part et d’autre de la Sarine ou la sensibilité variable quant à la place de l’agriculture dans notre pays. Mais il y a surtout un élément d’explication très factuel, que peu ont mis en avant: les Suisse allemands ont depuis bien longtemps pris des mesures beaucoup plus rigides contre le bétonnage des terres agricoles. Pour certains cantons alémaniques, on peut même dire qu’ils ont adopté des règles d’aménagement du territoire similaires à ce que prévoit « Stop mitage ».
Le canton de Thurgovie prévoit dans son plan directeur, depuis 1985 (!), que la surface agricole totale doit être préservée. Tout élargissement de la zone à bâtir au détriment de la zone agricole doit être compensé par un déclassement d’une surface équivalente en zone agricole dans la même commune. Soit exactement ce que prévoit « Stop mitage ». A noter que ce modèle constitue un « objectif exemplaire » aux yeux de la Confédération (Office fédéral du developpement territorial, Richtplan Kanton Thurgau – Gesamtüberarbeitung. Prüfungsbericht vom 27. September 2010, Ittigen 2010, p. 17). Le bilan entre la surface totale des zones agricoles et celle du territoire bâti est équilibré depuis l’introduction de ce principe en 1985, selon une étude faite par Avenir Suisse en 2010 (Müller-Jentsch Daniel/Rühli Lukas, Raumplanung zwischen Vorgabe und Vollzug – Inventar der kantonalen Instrumente zur Siedlungssteuerung, Avenir Suisse Kantonsmonitoring, Zurich 2010, p. 84).
Le canton de Zurich dispose de l’un des arsenaux juridiques les plus complets en matière d’urbanisation vers l’intérieur et de lutte contre le mitage du territoire. La loi cantonale elle-même (§ 21 Planungs- und Baugesetz) exige que le plan directeur indique la surface totale du territoire destiné à l’urbanisation sur le territoire cantonal. Ainsi, le plan directeur zurichois – sa carte annexée – délimite de manière fixe le territoire constructible pour les 20 à 25 ans à venir ; toutes les zones à bâtir délimitées par les communes doivent impérativement se trouver à l’intérieur du territoire constructible. Dans le cadre de la révision du plan directeur, on procède à des échanges de capacités entre communes tout en respectant le maximum cantonal de zones à bâtir, selon le même système de compensation que celui envisagé par l’initiative « Stop mitage ». Avec en outre une protection des terres cultivables très rigide, grâce à une initiative des Verts acceptée en 2012, la surface totale des zones à bâtir dans le canton de Zurich va donc très probablement rester stable pour les prochaines décennies. Grosso modo, c’est ce que demande l’initiative « Stop mitage ».
Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres, qui montrent que la Suisse allemande – avec bien sûr des exceptions et quelques contre-exemples – a mieux anticipé que la Suisse romande les défis en matière d’aménagement du territoire.
Les opposants annoncent l’enfer et la “fossilisation” de la Suisse si l’initiative est acceptée. Est-ce à dire que les opposants considèrent que la Suisse allemande est un enfer fossilisé? Le célèbre architecte Mario Botta vient de signer une tribune réunissant 300 architectes en faveur de l’initiative. Les opposants vont-ils maintenant nous dire que Mario Botta est une réincarnation du diable?
En bref, face à cette déferlante d’arguments excessifs, une seule chose à dire: keep calm and vote « Stop mitage ».
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