Le blog de Raphaël Mahaim

La justice est-elle politique?

La justice est-elle politique?

par | Nov 22, 2016 | démocratie, Droits fondamentaux, Institutions | 0 commentaires

imagesRépondant à une récente polémique sur la couleur politique des juges en matière d’asile, l’avocat vaudois et député des Verts Raphaël Mahaim justifie le fait que les juges sont en général, dans les cours supérieures en Suisse, désignés en fonction de leur appartenance partisane (publié dans le Temps en ligne le 8 novembre 2016).

Les juges UDC seraient donc plus sévères lorsqu’ils ont à trancher des affaires de droit des étrangers. Le résultat de cette étude publiée récemment n’a pas manqué de susciter moult réactions allant de l’interrogation suspicieuse à la désapprobation outrée.

Tout d’abord, une évidence en guise de rappel de principe: un juge doit prioritairement juger sur la base des faits établis par-devant lui et selon le droit applicable. En ce sens, le juge ne fait pas de politique; il ne saurait être le porte-parole d’un parti. Son indépendance de jugement doit être complète, libre de toutes formes de pressions extérieures. Il inscrit sa décision dans un cadre rigoureux, contraint par un carcan parfois codifié jusque dans ses moindres détails.

Exigence d’indépendance

Si un juge s’écarte de ce cadre, notamment pour de purs motifs politiques, sa décision peut être critiquée et contestée devant une instance supérieure. C’est du reste cette exigence d’indépendance qui plaide pour que des organes ad hoc (conseils supérieurs de la magistrature) soient en charge de la haute surveillance de l’ordre judiciaire, et non les autorités politiques directement.

Pour autant, il faut se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le système suisse consiste à composer les tribunaux – en tous les cas en deuxième et en dernière instance, là où se façonne la jurisprudence – selon une clé de répartition correspondant grosso modo à la force des grandes tendances politiques du pays.

Légitimité démocratique du pouvoir judiciaire

S’agit-il d’une ingérence indue de la politique dans le judiciaire? Le paradoxe n’est qu’apparent: l’enjeu est de faire cohabiter deux principes nécessaires à l’équilibre institutionnel et au bon fonctionnement de la justice au service de l’intérêt général: une totale indépendance des jugements, d’une part, et une légitimité démocratique du pouvoir judiciaire, d’autre part.

Le titre préliminaire du Code civil suisse rappelle la fonction essentielle du juge: «A défaut d’une disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d’une coutume, selon les règles qu’il établirait s’il avait à faire acte de législateur». Le juge a donc un rôle créateur; il ne se limite pas à dire le droit, ou, comme l’affirmait le baron de La Brède et de Montesquieu, à être «la bouche de la loi». Pour reprendre l’élégante expression du professeur honoraire de l’UNIL Pierre Moor, le juge a une fonction micropolitique.

Justice est «merveilleusement et terriblement humaine»

Lorsqu’un juge doit forger son «intime conviction», il est nécessairement influencé par son propre parcours de vie et sa propre vision du monde (Weltanschauung). La formule de l’avocat pénaliste Dupont-Moretti exprime la même idée différemment: la justice est «à la fois merveilleusement et terriblement humaine». Elle est rendue par des êtres humains (les juges) sur des êtres humains (les parties au procès) pour des êtres humains (la société).

L’idée que la justice serait une science exacte, obéissant à des schémas tout tracés, doit être battue en brèche. Il y a bien eu quelques tentatives de schématiser la décision judiciaire, par exemple au moyen d’algorithmes de fixation de la peine en droit pénal. Ces tentatives ont été autant d’échecs cuisants. La réalité judiciaire ne se laisse pas saisir par des algorithmes ou des modélisations mathématiques. Si le droit était une science exacte, sans imprévu ni incertitude, il n’y aurait d’ailleurs pas besoin de faire de procès…

Micropolitique

A cette aune, il paraît juste, moyennant quelques précautions, que les tribunaux de ce pays soient composés en tenant compte des sensibilités politiques des magistrats. Là où il y a une marge de manœuvre, il y a de la micropolitique. L’enjeu est démocratique, à un double titre: les grands courants de pensée doivent être équitablement représentés dans le troisième pouvoir, d’une part, afin que l’instance judiciaire en tant que telle soit le reflet de la collectivité au service de laquelle elle rend la justice.

D’autre part, les magistrats doivent en toute transparence révéler leur Weltanschauung vis-à-vis du justiciable, afin que ceux-ci sachent à qui ils ont affaire. Le contraire ne serait qu’hypocrisie: ne pas la révéler ne signifie nullement que l’on n’en a point. L’appartenance politique n’est bien sûr qu’un critère parmi d’autres, les compétences et aptitudes des candidats à des fonctions judiciaires devant demeurer au centre de leur sélection et élection.

Garde-fous nécessaires

Et des garde-fous demeurent nécessaires pour éviter toute politisation excessive, comme la cruciale composition de cours à plusieurs magistrats pour certains types d’affaires ou une certaine flexibilité dans les modalités d’élection pour que l’exercice ne vire pas à une bête répartition des parts de gâteau entre partis politiques.

Comme souvent dans notre tradition fédéraliste suisse, l’équilibre est délicat à préserver. La stabilité institutionnelle repose sur une palette d’ingrédients dont le mélange est subtil.

Tout système souffre de certaines imperfections. Mais ceux qui plaident pour supprimer d’un revers de main toute forme de «représentativité politique» au sein des organes judiciaires font probablement fausse route.

L’étude récente sur les juges UDC en matière de droit migratoire n’y change rien. Le constat est peut-être difficile à entendre mais il constitue tout simplement une réalité: oui, une affaire particulière ne sera pas toujours tranchée de la même manière par deux juges distincts. C’est cruel pour le justiciable qui a «pioché la mauvaise carte». Mais c’est simplement la condition de notre justice terrestre, à la fois merveilleusement et terriblement humaine.

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