Il aura fallu que Martine Brunschwig Graf descende dans l’arène pour que j’aie l’impression de respirer à nouveau. Le débat de cet été relatif à la burqa, aux burkinis et autres bouts de tissus indésirables est proprement étouffant, irrespirable. La caisse de résonance médiatique de cette hystérie a été totale, alimentée par des élections présidentielles françaises où chaque candidat rivalise de propos provocateurs pour montrer son attachement aux prétendues valeurs républicaines et laïques (publié sur mon blog de l’hebdo le 30 août 2016).
Pour faire simple et court, il y a au moins cinq raisons de ne pas interdire la burqa. 1) On ne peut pas “régler” la question de l’oppression des femmes par une interdiction d’un bout de tissu. 2) Ceux qui s’en prennent à ce symbole sont ceux qui ont freiné toutes les avancées des droits de femmes ces dernières années. 3) Il y a d’autres problèmes sécuritaires et sociaux sensiblement plus urgents que le port de la burqa. 4) Les islamistes radicaux ne se promènent pas en burqa et seraient les premiers à se réjouir d’une telle interdiction, magnifique prétexte à propagande haineuse. 5) On peut mépriser la Burqa – en réalité, sous nos latitudes, le Niqab – sans toutefois vouloir traîner dans la boue tous les Musulmans de Suisse.
Pourtant, pourtant… depuis quelques jours, tout le monde semble tétanisé par la discussion. Les médias se regardent en chien de faïence en relayant les dépêches des agences faisant état d’un énième rebondissement sur les plages françaises où des femmes ont eu le mauvais goût d’aller faire trempette dans une autre tenue qu’en maillot de bain. (Vous aurez remarqué à quel point l’habillement des femmes demeure toujours un beau sujet de défouloir pour les conservateurs de tous poils). Tamedia n’a rien trouvé de mieux à faire qu’un sondage d’opinions qui confirme ce que toute le monde savait déjà: posée sans nuances, la question de l’interdiction de la burqa suscite évidemment une large adhésion auprès de la population suisse.
Quel élu romand d’envergure, au rayonnement dépassant son propre parti, allait-il enfin retrousser ses manches et siffler la fin de la récréation? Manifestement, on ne peut plus compter sur le leader de la gauche romande qui a préféré alimenter cette caisse de résonance au plus fort du Sommerloch. Pierre Maudet, le républicain de la République du bout du Lac, a bien tenté d’apporter quelques nuances dans le débat, mais sans beaucoup de coeur. Mais bon sang, n’y a-t-il plus de Pascal Couchepin pour taper du point sur la table? Un Peter Bodenmann pour remettre les choses à leur juste place? Un Jean-François Aubert pour rappeler que, comme Rome, l’Etat de droit ne s’est pas fait en un jour et que l’interdiction des discriminations n’est pas un vague délire de quelques juristes en mal de sensations?
En France, c’est le Conseil d’Etat – plus haute autorité judiciaire, troisième pouvoir, gardien des valeurs fondamentales et de l’indépendance – qui a mis le holà à cette immonde discussion. En Suisse romande, Martine Brunschwig Graf a été la première à faire entendre avec courage une voie discordante, toute en nuances et rappel de valeurs fondamentales. Bravo et merci à elle.
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